Pas de demi-mesure : dans certains pays, un homme marié peut légalement prendre une seconde épouse, à condition de respecter des règles très strictes. Ailleurs, la loi l’interdit sans appel. D’un côté, on parle d’équilibre familial, d’obligations religieuses, de pression du groupe ou du besoin d’assurer une descendance. De l’autre, les motivations économiques et les enjeux de santé s’invitent dans la discussion. Ces débats mettent à nu la tension persistante entre traditions héritées et valeurs contemporaines.
Comprendre la polygamie masculine à travers l’histoire et les sociétés
La polygamie masculine ne se résume pas à un détail de lointaines civilisations. Elle traverse les époques et les continents, s’adaptant aux croyances, aux structures sociales et aux lois. Prenez la communauté de Bountiful en Colombie-Britannique : depuis près de soixante ans, la polygamie y est pratiquée au grand jour sous la bannière de l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Le phénomène ne s’arrête pas là. Entre l’Afrique centrale, les États-Unis ou le Moyen-Orient, chaque société impose ses propres cadres, ses justifications et ses tabous.
Mais sur le plan légal, la fracture est nette. L’article 293 du Code criminel canadien, en vigueur depuis 1892, punit la polygamie de cinq ans de prison. L’actualité en a fait écho lors de l’arrestation de Warren Steed Jeffs en août 2006, figure de proue des polygames de l’Utah. Ce genre d’affaire rappelle que la question n’a rien d’anecdotique et touche aux fondements de la protection des droits humains. Le comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes juge la polygamie incompatible avec l’égalité entre hommes et femmes, et encourage clairement son interdiction.
La société, pourtant, ne suit pas toujours la lettre de la loi. L’expérience de Debbie Palmer, ancienne membre de la secte de Bountiful, frappe les esprits : mariée de force, exposée à la violence, elle s’est finalement échappée avec ses enfants. Des récits comme le sien, ou la série télé Big Love, ont contribué à mettre en lumière le quotidien souvent caché de ces familles, et à questionner la place de la monogamie comme référence unique.
Voici quelques points de vue que l’on retrouve fréquemment autour de la question :
- Certains hommes polygames s’appuient sur la tradition, la religion ou un sens du devoir familial pour légitimer la prise d’une seconde épouse.
- Pour leurs opposants, la polygamie sape l’égalité et porte atteinte aux droits les plus fondamentaux des femmes.
Selon le contexte, la polygamie se heurte à la loi ou bénéficie d’une certaine tolérance locale. D’un endroit à l’autre, elle révèle la fragilité des lignes qui séparent coutume, justice et valeurs universelles.
Pourquoi certains hommes choisissent-ils de prendre une deuxième femme ?
Dans la réalité des hommes polygames, les raisons de franchir le pas sont multiples. Pour certains, il s’agit d’une prescription religieuse, vécue comme une obligation ou un droit, notamment dans l’islam. À Scarborough, l’imam Aly Hindi célèbre ainsi des mariages multiples pour des fidèles venus du Pakistan ou du Qatar. Il met en avant la liberté religieuse et le socle de la tradition pour défendre ces unions.
Pour d’autres, la décision répond à des circonstances bien concrètes : protéger une femme veuve ou isolée, faire face à un déséquilibre démographique, ou encore préserver la stabilité du foyer. Parfois, la seconde épouse incarne une forme de solidarité, un appui matériel ou moral. Mais les arguments masquent souvent une réalité moins reluisante : la première femme est rarement consultée, et se retrouve devant le fait accompli. Le cas de Sanah Kamal, mariée dans le cadre polygame par Aly Hindi, illustre ce fossé entre principe et vécu : incompréhension, puis rupture.
Ces motivations prennent plusieurs formes :
- Pour certains, épouser une deuxième femme exprime un attachement identitaire ou un refus de se fondre dans la société d’accueil.
- Pour d’autres, il s’agit d’une solution, même temporaire, face à la précarité ou après un divorce.
Ce modèle, à la croisée du choix personnel, de la pression culturelle et de l’injonction religieuse, interroge la place laissée aux femmes dans le couple et dans la société. Militante à Montréal, Sherifa Ayari n’y voit qu’une pratique injuste, révélant une domination qui persiste.
Entre traditions, croyances et réalités contemporaines : ce que révèle la polygamie aujourd’hui
La polygamie ne se cantonne plus à un héritage du passé ou à une prescription religieuse. Elle s’invite dans les débats sur le droit de la famille, la protection des femmes et des enfants, et l’égalité des sexes. Au Canada, l’article 293 du Code criminel interdit le mariage multiple depuis plus d’un siècle. Pourtant, la pratique subsiste encore, souvent discrètement, posant des questions juridiques et sociales insolubles.
Le rapport de Condition féminine Canada met en avant une hausse des cas de polygamie, avec des impacts concrets : difficultés pour les enfants à toucher une pension alimentaire ou à recevoir certains avantages fiscaux, fragilité accrue des épouses. Nicholas Bala, professeur à Queen’s, souligne que la polygamie favorise les inégalités et expose les femmes à des situations de violence conjugale. Les enfants issus de ces unions sont souvent les premiers à en pâtir sur le plan légal et social.
Deux approches s’opposent : des juristes comme Bita Amani et Martha Bailey plaident pour une décriminalisation de la polygamie, estimant que la répression met encore plus en danger femmes et enfants. À l’opposé, Alia Hogben, présidente du Conseil canadien des femmes musulmanes, refuse toute légitimation, considérant la polygamie comme une atteinte directe à l’égalité. L’Ontario, quant à lui, accorde des droits limités aux femmes et enfants de mariages polygames contractés à l’étranger. Ce choix illustre la complexité des arbitrages entre immigration, droits individuels et cohésion sociale.
Voici deux aspects majeurs de la question :
- La polygamie interroge la définition du couple et du mariage au XXIe siècle.
- Elle met à l’épreuve les dispositifs de protection sociale et d’égalité juridique.
Débats éthiques et pistes de réflexion pour la société moderne
La polygamie déclenche des débats tranchés, mêlant enjeux juridiques, risques de discrimination et préoccupations autour de la protection des femmes. Au Canada, la loi, notamment l’article 293 du Code criminel, interdit la polygamie et s’appuie sur la défense de l’égalité des sexes et la lutte contre la violence conjugale. Mark Quinlan, du ministère de la Justice, l’affirme : il n’est pas question d’assouplir la répression, même si des communautés comme Bountiful persistent à défier la loi.
Les chiffres sont sans appel : 80 % des Canadiens désapprouvent la polygamie (source : Institut Vanier de la famille), souvent par crainte d’une aggravation des inégalités ou de dérives telles que la traite de jeunes filles. La Gendarmerie royale du Canada multiplie d’ailleurs les enquêtes sur les groupes mormons polygames et leurs dérives sectaires.
Dans le monde juridique, les avis divergent : Julius Grey propose d’adapter la loi pour ne sanctionner que les cas de double mariage en connaissance de cause. Nicholas Bala rappelle quant à lui la vulnérabilité des femmes et des enfants dans ces configurations. La société doit-elle garantir l’autonomie individuelle jusqu’au bout, ou privilégier la protection des plus fragiles et l’intégrité du tissu social ?
Voici deux axes qui cristallisent le débat :
- La tension entre liberté religieuse et impératif d’égalité structure la réflexion collective.
- Reconnaître la seconde épouse, n’est-ce pas, au fond, valider une pratique porteuse d’inégalités ?
Les lignes bougent, mais la question demeure : jusqu’où une société peut-elle accommoder ses traditions sans renoncer à ses principes ? Le débat sur la polygamie ne se referme jamais tout à fait, comme un miroir tendu à nos contradictions collectives.
